Plus d’un million de personnes sont accueillies dans les établissements médico-sociaux, dont 600 000 dans 7500 EHPAD. A quoi ressembleront ces établissements demain ? Question délicate, on songe à l’aphorisme de Pierre Dac « la prévision est difficile, surtout lorsqu’elle concerne l’avenir ». Vient aussi à l’esprit l’évolution lente de tout patrimoine immobilier : la grande majorité des EHPAD de demain sont déjà construits, et les organisations de demain, innovantes ou non, devront aussi s’adapter aux murs d’hier ou d’avant-hier. Ces incertitudes et ces contraintes n’interdisent pas, bien au contraire, de réfléchir et de remettre sur l’établi pour chaque projet la question de l’articulation entre le bâti, les espaces créés et les pratiques quotidiennes de celles et ceux qui vont y vivre. Et l’EHPAD est un noeud de contradictions, plus complexe à concevoir que l’hôpital :
– Hors troubles cognitifs graves, presque toutes les personnes hébergées auraient préféré demeurer chez elles. On entre en EHPAD à reculons, et pour y vivre les derniers mois de sa vie.
– L’EHPAD doit être un lieu de vie où l’on soigne, c’est trop souvent un lieu de soins avec hébergement : les contraintes budgétaires, les niveaux de salaires des intervenants, les rythmes de travail ne permettent pas de porter toute l’attention nécessaire à l’accompagnement des résidents.
– La chambre est le domicile de plein exercice du résident, qui doit pouvoir s’approprier l’espace et y installer ses repères personnels. Sa surface est trop souvent serrée au plus près, au trop près. Finir sa vie dans moins de 25m² n’est pas à l’honneur de notre société.
– La spécialisation des métiers impose l’atomisation des intervenants : l’immeuble est propriété d’une société foncière, le gestionnaire coordonne ses sous-traitants en restauration, nettoyage etc. Autant d’acteurs, autant de contrats, autant de processus rigides à l’envers de l’adaptabilité, de la saine improvisation, de l’inattendu qui font la qualité de vie.
– Les exigences de sécurité et le manque fréquent de personnel freinent l’ouverture aux autres, à la ville, au quartier. L’EHPAD ouvert est souvent fermé à double tour. Un bon EHPAD, c’est un endroit où l’on se sent chez soi tout en étant une usine à soigner efficace et productive, c’est un lieu organisé mais qui doit autoriser l’imprévu, un lieu ouvert aux autres mais sécurisé, un lieu de processus rigides et de désordre jouissif. Un lieu de grands espaces mais d’intimité, de vues et de secrets, de repli sur soi et de moments collectifs. Un lieu de promenades, un lieu où l’on peut observer le mouvement, et surtout un lieu où il est possible de conserver une part de libre-arbitre dans sa vie quotidienne.
Pour concevoir une structure médico-sociale, il faut prendre le temps de briser les frontières, d’écouter et de comprendre les vieux, les handicapés qui pensent, aiment, écoutent, regardent, se trompent, changent d’avis, râlent, draguent, mentent, se jalousent, s’aident, exigent, refusent, négocient … comme tout le monde. Se contenter de les regarder avec bienveillance, se mettre à leur place et chercher des solutions pour les aider conduit au piège de l’empathie égocentrée : on ne conçoit plus pour eux, mais pour l’idée que l’on se fait de la vie qu’ils devraient avoir.
A l’heure où les lieux de vie se bousculent et s’entrechoquent, où les logements deviennent des hôtels, où les cafés deviennent des bureaux, où le nomadisme remet en cause les frontières du quotidien, la génération connectée du baby-boom sera bientôt aux portes de l’EHPAD qui accueillera un jour autant d’hommes que de femmes. Face à ces bouleversements, il faut que les espaces médico-sociaux soient des lieux de confrontations, de surprises, de changements et d’action.
Michel Platzer
Ancien cadre immobilier (groupe Icade), coauteur de Concevoir et construire un EHPAD, paru aux éditions du Moniteur